La Preuve par Blockchain en droit français : à quand la généralisation ?
L’avocate Casey Joly, spécialisée en Blockchain et WEB3, et l’ingénieur informaticien Bertrand Peaudecerf reviennent sur le premier cas d’usage de la blockchain en France par le Tribunal de Marseille pour le règlement d’un procès.
L’admission de la preuve par blockchain est enfin entrée dans les prétoires en France. Il était temps !
Cela relance le débat sur la fiabilité et la force probante de la preuve par blockchain .
La décision interroge aussi sur la nécessité ou le rôle du constat d’huissier comme complément à l’ancrage.
Y ajoutant, peut-on substituer le constat par commissaire de justice par une certification AFNOR du processus de signature utilisée par la blockchain ?
1. La preuve par Blockchain a toujours été considérée admissible : (2016–2025)
1.1. Cette admissibilité s’appuie sur deux règles fondamentales :
- La preuve est libre donc peut être apportée par tous moyens licites :
En effet, depuis la réforme du droit des obligations par l’Ordonnance du 10 février 2016, l’article 1358 du Code civil précise que “hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen“.
- Le pouvoir souverain des juges du fond dans l’appréciation de la preuve :
En France, les juges du fond (1ère instance et juges d’appel) ont un pouvoir souverain dans l’appréciation de la preuve : ils peuvent donc librement juger admissible une preuve et ils apprécient aussi la valeur probante des preuves soumises.
Ceci résulte de l’article 427 du Code de procédure civile, qui énonce :
« Hors les cas où la loi en dispose autrement, les faits peuvent être prouvés par tout moyen, et le juge forme sa conviction d’après les éléments qui lui sont fournis. »
1.2. La doctrine favorable à l’admissibilité :
On pourra citer l’article de 2020 de Sophie Canas, Conseiller à la Cour de Cassation, [Blockchain et Preuve : Le point de vue du magistrat], sur l’admissibilité de la preuve par blockchain au regard de la titularité d’un droit d’auteur, comme suit :
« La preuve étant libre, le juge n’a aucune raison d’écarter a priori un tel certificat [attestant d’un ancrage blockchain] ; il doit au contraire, l’examiner. Mais en l’état du droit positif, ce moyen de preuve n’a pas de force probante supérieure aux autres éléments qui lui sont soumis. »
2. La Preuve par Blockchain admise par le TJ de Marseille en 2025 :
Le Tribunal de Marseille saisi d’une demande en contrefaçon de droits d’auteur dit que la titularité des créations a été établie par l’horodatage blockchain :
En l’espèce, la titularité des droits patrimoniaux d’auteur relatifs aux vêtements Hearts from Alber et Love from Alber au profit de la société AZ FACTORY est établie par les deux constats de l’horodatage Blockchain en date des 05 mai 2021 et 15 septembre 2021.
Cette admission relève de la liberté de la preuve, puis celle du pouvoir souverain des juges.
Mais à l’instar de ce qu’a dit le Conseiller référendaire en 2020, la preuve par blockchain est à l’égalité des autres éléments probatoires simples amenés dans le débat au titre de la titularité : en l’espèce des posts sur les réseaux sociaux valant divulgation des créations ou encore la commercialisation sous la marque enregistrée.
La preuve par blockchain est donc admise comme preuve simple.
Et pourtant, les éléments dans le débat, à savoir les constats d’huissier faits a posteriori des ancrages semblent suggérer une certaine qualité de la preuve sans que le débat contradictoire ait permis de qualifier sa force probante exacte :
« les croquis ou images des vêtements ont fait l’objet d’un ancrage dans la blockchain, réalisé par l’intermédiaire de la solution Blockchainyour IP : le pyjama Love from Alber a été créé le 1er décembre 2020 et l’empreinte digitale des dessins y afférent a fait l’objet d’un ancrage dans la blockchain par la solution Blockchainyour IP, le 5 mai 2021, constaté par huissier le 19 octobre 2022. »
A cet égard, Blockchainyour IP mentionne sur son site que le constat d’huissier permettrait de vérifier la fiabilité mathématique de la preuve blockchain :
« Pour faciliter l’usage de cette preuve technique devant le juge, BlockchainyourIP a mis en place dès 2018, avec Maître Jérôme Legrain, une procédure de constat permettant de vérifier la fiabilité mathématique de la preuve blockchain en cas de contentieux. Dans cette décision, la preuve blockchain a été d’autant plus convaincante qu’elle a été renforcée par un constat d’huissier, offrant une chaîne de confiance supplémentaire. »
On suppose donc que les conditions de conception et de mise en œuvre du dispositif technologique blockchain aient été constatées par l’huissier au regard de l’intégrité et de la fiabilité du processus emprunté.
En somme, le constat par commissaire de justice aurait fiabilisé le procédé de signature utilisée.
Pour rappel en droit, un écrit pour avoir une valeur probatoire, doit être signé et permettre l’identification de l’auteur de l’acte.
Or, cette identification fait défaut dans un processus automatisé par smart contract. En lieu et place, on contrôle l’algorithme de hash et sa correspondance par rapport au document ancré pour assurer fiabilité et fidélité.
Mais alors :
- Quand le contrôle doit-il être réalisé ? En l‘espèce, le constat est fait a posteriori, 16 mois après l’ancrage. Dans le cas d’espèce, le juge semble valider les contrôles a posteriori appliqués aux ancrages en question et au protocole BlockchainyourIP.
- Ce contrôle a posteriori peut-il être substitué par un contrôle a priori ?
3. La certification a priori d’un processus Blockchain :
Nous avons vu que le juge a admis la preuve faite sur BlockchainyourIP dès lors que le contrôle a posteriori a donné des gages sur la fiabilité et la fidélité.
Mais la conformité d’un processus blockchain peut aussi revêtir d’autres paramétrages dont l’indépendance de l’infrastructure (et donc la neutralité du processus).
La Fédération Française des Professionnels de la Blockchain (FFPB) a travaillé avec l‘AFNOR pour paramétrer un référentiel permettant un contrôle a priori par la mise en place d’une Certification AFAQ Blockchain de Confiance, à même de garantir une conformité, au travers d’audits qui déterminent l’attribution ou pas de la certification.
Le certificat est délivré pour deux ans à compter de la décision, sous réserve notamment de la réalisation et l’efficacité des éventuelles actions correctives décidées à l’issue de l’audit.
La certification AFAQ vise ainsi à identifier les solutions conformes à des standards élevés de sécurité, de traçabilité, et de gouvernance.
On imagine qu’à l’instar de la NF Z67-147 applicable aux constats d’huissier, la certification AFAQ, par son référentiel, pourrait servir de référence au juge pour apprécier la force probante de la preuve par blockchain. Elle permettrait incidemment aux plaideurs d’engager un vrai débat contradictoire sur la fiabilité de la preuve par blockchain.
On a désormais aussi un contrôle a priori possible qui devrait faciliter davantage l’adoption de la blockchain comme mode probatoire.
Contrôle a priori ou a posteriori, les outils ne manquent pas pour une plus grande généralisation de la preuve par blockchain.
Pour conclure
Une nouvelle ère s’annonce donc : celle de l’intégration pragmatique et espérons, plus systématique de la blockchain dans le contentieux de la propriété intellectuelle, le fruit moins d’une maturité technologique qu’une maturité des esprits – celui du juge et du justiciable.
À propos des auteurs
Casey Joly
Avocate du Barreau de Paris, Casey Joly travaille au sein de sa structure IpSO auprès d’entrepreneurs dans l’identification, la protection et la défense de l’innovation ainsi qu’au sein du réseau régional (Normandie) d’accompagnement et de coaching d’entrepreneurs (TIERS & TEI). Casey a également co-fondé un Protocole Blockchain LOGION et travailledans l’accompagnement de projets dans le domaine des Nouvelles Technologies, WEB3, AI, Blockchain, Métavers, NFTs, Tokenisation, RWA-assets ou encore Data Ownership.
Casy Joly a également participé à de nombreuses conférences, ateliers et webinaires, et dispense des cours sur l’IA et la Blockchain au sein d’universités publiques comme d’écoles privées telles que Lyon Lumière 2 ou encore CESI Brest. Elle est administratrice et animatrice du Think Tank Controv3rse (Métavers), administratrice de DG Alliance for Smarter Citizens (Data) et principale contributrice à la première bibliothèque de ressources et d’expertise WEB3, Web3Lex.
Bertrand Peaudecerf
Bertrand Peaudecerf est ingénieur informaticien, membre du Directoire puis Directeur Adjoint dans l’innovation, l’édition de logiciels et la production éditique et électroniques à valeur probatoire. Co-fondateur de Logidoc-Solutions.
Puis Directeur Recherche Innovation et Développement chez Tessi, Bertrand a monté la machine à innover du pôle CCM autour des prestations de Confiance Qualifiées (LRE, plateforme de management de courriers sortants, identité numérique, Vote, Sante) autour, en autre, des technologies du WEB3 comme la Blockchain, les métavers et de l’IA.
Il est contributeur à l’AFNOR (Blockchain et Métavers), la FnTC (evote, LRE, Blockchain), membre du bureau de la Fédération Française des professionnels de la Blockchain, Andese, …
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